dimanche 14 avril 2013

Un point bleu pâle : considérations éthiques sur la « restauration » d'une image classique

« Un point bleu pâle » en version originale.


Le 14 février 1990, la NASA commanda à la sonde Voyager 1 qui avait terminé sa mission primaire, de se retourner et de photographier les planètes qu'elle avait visitées. La NASA compila 60 images de cet évènement unique en une mosaïque du système solaire (connue sous le nom de « Portrait de famille »).

Une des images que Voyager renvoya était celle de la Terre à 6,4 milliards de kilomètres. C'est cette image granuleuse que vous voyez ci-haut dans sa résolution originale, qui fut poétiquement appelée « Pale Blue Dot » en anglais, et « Un point bleu pâle » en français. Oui, ce minuscule point bleu se trouvant à droite de l'image, c'est bien la Terre.

« Pale Blue Dot » est aussi un livre inspiré par cette photo, écrit en 1994 par Carl Sagan, où il décrit cette image en ces termes :
« Regardez encore ce petit point. C'est ici. C'est notre foyer. C'est nous. Sur lui se trouve tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui aient jamais vécu. Toute la somme de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions aux convictions assurées, d'idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs et cueilleurs, tous les héros et tous les lâches, tous les créateurs et destructeurs de civilisations, tous les rois et tous les paysans, tous les jeunes couples d'amoureux, tous les pères et mères, tous les enfants plein d'espoir, les inventeurs et les explorateurs, tous les professeurs de morale, tous les politiciens corrompus, toutes les “superstars”, tous les “guides suprêmes”, tous les saints et pécheurs de l'histoire de notre espèce ont vécu ici, sur ce grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil. »
Un grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil. Une magnifique image qui donne une toute autre perspective à la vie, à l'Univers, et au reste.

Une magnifique image, certes, mais de mauvaise qualité. Sa taille originale est de 600 × 442 pixels, ce qui est minuscule si la compare aux multiples mégapixels de nos appareils contemporains les plus rudimentaires. Mais il faut prendre en considération les 6,4 milliards de kilomètres parcourus à la vitesse de la lumière par chacun de ces pixels pour mieux apprécier le tour de force que représente cette image, si petite soit-elle.

Et même si la photographie fut prise avec le filtre le plus sombre et le temps d'exposition le plus court possible (5 millisecondes) pour éviter de saturer le tube vidicon de la caméra avec la lumière du Soleil, le résultat est granuleux et surexposé.

C'est en ruminant sur les limitations techniques de l'époque que me vint l'idée de tenter de remédier à ce problème. Il serait relativement simple d'améliorer la netteté, la résolution et la luminosité de l'image avec mon fidèle Photoshop pour en faire, par exemple, une affiche grand format ou un fond d'écran. Mais jusqu'où exactement peut-on modifier ou altérer une image historique comme celle-ci sans trahir son essence première, son authenticité, sa substantifique moelle ?

La grande majorité des images astronomiques fournies par les diverses agences spatiales aux médias sont manipulées avant d'êtres publiées. Un peu plus de contraste par çi, un peu moins de luminosité par là, et on recadre le tout... Certaines d'entre elles sont transmises en teintes de gris par les satellites pour être colorées par la suite par des spécialistes, et d'autres sont entièrement recolorées afin de mettre en évidence un quelconque phénomène. Bref, à moins de fréquenter les sites d'archivage des agences spatiales donnant accès aux images brutes prises par les diverses missions en cours, le commun des mortels voit rarement les images astronomiques sans que celles-ci ne soient « améliorées » au préalable.

Seulement voilà. « Un point bleu pâle », l'image qui se trouve en haut de cette page, n'a jamais été altérée. Ce que vous voyez est exactement ce que la sonde Voyager nous a transmis, pixel pour pixel. Elle est peut-être de mauvaise qualité, mais ce défaut lui donne une puissance supplémentaire. Parce qu'un des grains de cet effet de diffraction optique, celui qui est légèrement plus pâle que les autres, c'est notre planète.

J'étais donc bien conscient du fait que toute tentative de restauration ou d'amélioration de cette image serait vaine, car la vraie beauté de cette image, son sens profond, réside dans son imperfection initiale. Mais comme j'étais curieux de voir le résultat, je tentai tout de même l'expérience en limitant au maximum le nombre d'altérations afin de rester le plus près possible de l'original. Après plusieurs tentatives et quelques heures de manipulation de layers, transparence, filtres et tutti quanti, voilà qu'apparaît cette image qui, ma foi, n'est pas dénuée de charme.

« Un point bleu pâle » en version « restaurée ».


Aucun pixel n'a été enlevé ou ajouté. Tout ce qui se trouve dans cette image était sur l'original ; le seul compromis auquel j'ai dû me soumettre fût d'appliquer un filtre de flou gaussien sur les rayons en arrière-plan pour éliminer la granulosité, ce qui eût aussi pour effet de réduire la netteté des rayons. Mais comme ces derniers sont des artéfacts causés par les lentilles de l'objectif, j'ai jugé qu'il valait mieux conserver leurs splendides couleurs prismatiques que d'insister sur leur forme exacte, qui est arbitraire.

L'image a aussi été considérablement agrandie (à plus de 2500 pixels de hauteur), ce qui offre la possibilité d'en faire une affiche imprimée grand format sans crénelage, ou encore un fond d'écran à haute résolution.

J'aime bien le résultat final, qui est techniquement supérieur à l'original, mais un doute subsiste... « Un point bleu pâle » est une image unique, historique. Elle est la Joconde des photographies astronomiques. Peut-on réellement la modifier, si légèrement soit-il, sans réfléchir aux conséquences éthiques d'un tel acte de lèse-majesté et risquer de subir les foudres des puristes qui ne manqueront pas de s'offusquer ? Peut-être pas, après tout. Qu'en pensez-vous ?

Mais si l'envie vous prend d'en faire un fond d'écran, libre à vous d'utiliser cette version recadrée et redimensionnée à 1900 × 1200 pixels.

« Un point bleu pâle » en version fond d'écran (1900 × 1200).


Parce qu'il est parfois préférable d'admirer les splendeurs que nous offre l'Univers, et de laisser de côté les considérations éthiques.

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